Les catalyseurs discrets de la révolution technologique

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Par Maria Lazarte
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Il n’est plus possible, en 2107, d’imaginer un monde sans ordinateurs ni Internet et cela n’a rien de surprenant. Des développements bien plus enthousiasmants se profilent à l’horizon. De la réalité virtuelle à l’intelligence artificielle, si l’on veut se préparer à l’avenir, il faut d’abord comprendre comment nous en sommes arrivés là, et reconnaître les catalyseurs discrets qui ont changé la donne.

Nous n’avons jamais été aussi près du miracle de la vraie vie, et ce, grâce à notre capacité à faire de nos rêves une réalité. La technologie repousse sans cesse les limites imposées par la nature pour transformer nos vies et le monde. Le ciel et les océans les plus profonds ne sont désormais plus hors de portée, et la technologie nous permet d’aller toujours plus loin et plus haut, d’en faire plus avec moins. Elle est une arme puissante contre la maladie et le handicap, et peut être synonyme de confort, de sécurité, de connexion, mais aussi, parfois, de destruction.

Notre relation à la technologie a débuté lorsque l’être humain a commencé à transformer les ressources à sa disposition en outils de base. L’inédit, aujourd’hui, tient au rythme effréné de l’innovation et des découvertes qui ont permis de modifier de façon spectaculaire notre mode de vie. Grâce aux progrès de la fabrication additive – mieux connue par le profane comme l’impression 3D – les parents de certains enfants souffrant de l’absence d’un membre ont, par exemple, pu « imprimer » des prothèses simples depuis chez eux, en un temps record et à mini prix.

Close up of a 3D printer, printing.

 

Open Bionics, start-up basée au Royaume-Uni, a récemment permis à ce système de franchir une étape majeure grâce à un prototype de main bionique fonctionnelle imprimée en 3D qui réduira considérablement le coût prohibitif d’un dispositif à même de changer le cours d’une vie. 

Les technologies décrites dans nos romans de science-fiction deviennent enfin réalité. Pas plus tard que l’an dernier, l’avion Solar Impulse a démontré qu’il était possible de faire le tour du monde en volant grâce à la seule énergie solaire. Et dernièrement, Facebook a fait les gros titres en annonçant avoir pour objectif de créer un système permettant à nos smartphones de lire dans nos pensées. Que nous réserve l’avenir ?

Un environnement en mutation

Il devient plus difficile d’imaginer qu’il y ait quoi que ce soit que nous ne puissions pas réaliser, pour autant que nous disposions de suffisamment de temps. Dès lors, certaines questions s’imposent. Comment notre relation aux technologies évolue-t-elle ? Quelles sont les conséquences pour les personnes ? L’accès aux technologies est-il désormais un droit de l’homme ? Mais avant de pouvoir répondre à ces questions, nous devons d’abord comprendre comment nous en sommes arrivés là.

On observera avec intérêt que l’avènement des Normes internationales a joué un rôle inattendu dans ce boom des technologies de pointe. Sans la base solide qu’elles fournissent pour permettre des innovations valables et efficaces, il aurait fallu beaucoup plus de temps pour arriver là où nous sommes aujourd’hui. Prenons deux des avantages les plus basiques de la normalisation que sont la compatibilité et l’interopérabilité. C’est grâce à elles que les cartes de crédit peuvent être lues par n’importe quel appareil dans le monde, que les dossiers informatiques peuvent être compris par différents programmes et que des appareils sont capables de se connecter à d’autres appareils. Sans les normes, les nouvelles technologies ne pourraient pas fonctionner avec les technologies existantes, l’Internet des objets serait inenvisageable, et l’adoption d’innovations reposant sur des réseaux, à l’image des voitures électriques, résulterait beaucoup plus complexe.

Depuis l’antiquité, les hommes s’appuient sur des mesures et des processus normalisés, et plus généralement sur la technologie. Mais lorsque l’ISO a été créée, il y a 70 ans, quelque chose d’unique s’est produit. Pour la première fois, des normes applicables à différents domaines techniques – des simples boulons aux avions – ont été régulièrement élaborées à partir de la meilleure expertise dont le monde dispose, avant d’être adoptées au niveau planétaire. Ainsi, l’ampleur des avantages qu’elles procurent s’est multipliée de façon exponentielle, et il est devenu possible de regrouper la recherche, les talents et les capacités de toutes les régions du monde.

Man wearing a virtual reality goggles headset is flying a drone.

 

Les grands esprits se rencontrent

Même à ses débuts, l’ISO n’a jamais travaillé en vase clos. Elle a été constituée comme un réseau d’organismes nationaux de normalisation et a toujours étroitement collaboré avec des organisations internationales et d’autres parties prenantes. Ses partenariats avec la Commission électrotechnique internationale (IEC), par exemple, ont donné lieu à la création de l’un des plus importants et prolifiques comités pour les normes technologiques, à savoir l’ISO/IEC JTC 1, Technologies de l’information.

En réalité, les premiers comités ISO étaient principalement axés sur les technologies et, parce que les normes facilitaient la spécialisation sur des composantes et des applications, les fabricants n’étaient plus contraints de créer de toutes pièces l’ensemble de leurs produits. Un constructeur automobile pouvait, par exemple, externaliser la production de ses pneumatiques, et donc réduire les coûts et rationaliser les investissements. Des écrous et boulons aux voitures et aux navires, les Normes internationales ont toujours reflété les technologies du moment et soutenu le développement de la production en série et les économies d’échelle.

Aujourd’hui, des connaissances communes, comme celles que l’on trouve dans les normes, et des systèmes ouverts ont diversifié et démocratisé l’innovation. Prenons l’exemple des smartphones. Des systèmes d’exploitation prêts à l’emploi (OS), comme Android, permettent aux fabricants de téléphones de concentrer leurs ressources sur le matériel. Les développeurs n’ont plus besoin de penser aux outils que nous pourrions souhaiter avoir dans nos appareils dans la mesure où chacun peut créer une application à télécharger, qu’il s’agisse d’une lampe de poche, d’un altimètre ou même d’un GPS imitant la voix d’Arnold Schwarzenegger.

Cela n’est bien entendu possible que lorsque les développeurs de systèmes d’exploitation publient l’interface de programmation d’application (API) qui offre un langage commun utilisable par chacun. L’idée d’un langage commun est aussi au cœur de la normalisation, si bien qu’il existe des centaines de normes ISO consacrées à la terminologie, au vocabulaire et à des mesurages unifiés. Cela n’a peut-être pas l’air révolutionnaire, mais pouvez-vous imaginer une collaboration internationale sans de telles normes ? En 1999, la NASA a perdu la sonde Mars Climate Orbiter, d’une valeur de USD 125 millions, parce qu’une équipe d’ingénieurs partenaires avait utilisé des unités impériales alors que les calculs de l’agence spatiale étaient fondés sur le système métrique. L’appareil a explosé peu après le lancement. Parfois, le simple fait de ne pas être sur la même longueur d’ondes peut avoir des conséquences catastrophiques.

Ce n’est que le début

Pourtant, nous ne faisons qu’effleurer l’approche qui permet aux normes ISO d’alimenter l’innovation et de libérer tout un potentiel d’originalité, tout en permettant la reproductibilité, en maintenant la qualité et en garantissant la sécurité.

L’avènement des nanotechnologies entre les années 1980 et le tout début du XXIe siècle a suscité beaucoup de controverses et d’inquiétudes. Ces incertitudes rendent souvent les investisseurs circonspects à l’égard de technologies inconnues, mais les normes ISO peuvent dissiper certains de ces doutes et renforcer la confiance en fixant des paramètres visant à assurer la sécurité et contrôler la qualité. Le groupe d’experts de l’ISO/TC 229, Nanotechnologies, travaille donc depuis un certain nombre d’années sur ce type de normes.

 

De même, et malgré son important potentiel, l’industrie de l’impression 3D rencontre encore des difficultés pour rivaliser avec la précision des méthodes de fabrication traditionnelles. Pour Jörg Lenz, Président de l’ISO/TC 261 sur la fabrication additive, « l’industrie a réellement besoin de Normes internationales pour apporter de la clarté et dissiper certaines inquiétudes, pour garantir la fiabilité, l’acceptation et la sécurité de cette technologie et pour la promouvoir sur le marché ». Les Normes internationales peuvent aider à garantir un niveau de reproductibilité et rassurer les entreprises et les fabricants.

Or, si l’élaboration des normes intervient tardivement, des systèmes parallèles risquent d’apparaître, de même qu’une complexité accrue et un gaspillage inutile. Il est évident que chaque norme doit conserver un certain degré de flexibilité et s’adapter aux évolutions de la technologie pour ne pas entraver le processus d’innovation. L’un des domaines susceptibles de souffrir de ces lacunes est celui des aéronefs sans pilote (UAS) – parfois appelés drones – qui surgissent à l’horizon dans tous les secteurs, y compris dans le domaine agricole, et vont jusqu’à vous livrer une pizza à domicile. 

Pour l’heure, il existe très peu de normes, de règles ou de législations uniformes concernant la conception des protocoles de communication, la navigation et les commandes. Cortney Robinson, Directeur, Infrastructure de l’aviation civile, à l’Aerospace Industries Association, États-Unis, considère que si rien n’est fait maintenant, la complexité de cette situation ne cessera de s’accroître au fil du temps et réduira les avantages que pourrait en tirer la société.

Face à la multiplication du nombre de drones partageant le même espace aérien que les aéronefs traditionnels pilotés, nous devons nous assurer qu’ils ne présenteront pas de risques graves pour les personnes, les biens ou d’autres avions. « Les Normes internationales jouent un rôle essentiel dans la création d’un marché commercial mondial pour les drones… sans pour autant compromettre la sécurité et l’efficacité d’un espace aérien harmonisé », explique M. Cortney. Grâce au partage des connaissances, les normes ISO pour les drones inciteront également un plus grand nombre d’innovateurs à s’impliquer, permettant ainsi d’accélérer l’évolution de cette technologie. C’est également une bonne nouvelle pour les consommateurs, pour qui une concurrence accrue est synonyme de baisse des coûts, ainsi que pour les autorités de réglementation qui peuvent réduire à la fois les excès de réglementation et les tensions qui s’exercent sur leurs ressources en se reposant sur des normes sectorielles.

L’accès au marché est un autre avantage de la normalisation. Lorsque l’entreprise de robotique CYBERDYNE a commencé à travailler sur la prochaine génération de robots de type cyborg pour les travailleurs et les soignants, elle a été parmi les premières à se conformer aux exigences de sécurité d’ISO 13482 dès les premières étapes du processus de conception. L’entreprise savait que cette norme pour les robots de soins personnels permettrait de rassurer les utilisateurs potentiels, et donc de faciliter la distribution du produit. « Les normes ISO sont très importantes pour la conception de nouveaux produits », estime le Professeur Yoshiyuki Sankai, Directeur de CYBERDYNE. « Sans l’ISO, le résultat ne serait pas là. »

Repousser les limites

Photo: CYBERDYNE

Parce qu’elles offrent un socle et un degré supplémentaire de confiance qui aident nos esprits les plus brillants à tester les limites de l’innovation et de la science, les normes ont discrètement changé la donne et promu cette révolution technologique. Lorsqu’il évoque son tour du monde à bord d’un avion mû uniquement grâce à l’énergie solaire, André Borschberg, co-pilote de Solar Impulse, rappelle que « les frères Wright ne pouvaient s’appuyer sur des normes […]. S’ils en avaient eu à disposition, je suis sûr qu’ils auraient atteint leur objectif plus rapidement et peut-être seraient-ils même allés plus loin. C’est ce que nous faisons aujourd’hui et c’est aussi ce qui nous permet de progresser ».

Pour ce qui est de demain, les innovateurs continueront de façonner et de changer notre monde à un rythme toujours plus rapide. Mais quoi que nous fassions, il nous faut résister au piège de « la technologie pour la technologie » ou de limiter sa portée « à quelques privilégiés ». Les Normes internationales ont un rôle précieux à jouer car elles soulèvent des questions essentielles en termes de sécurité, de développement durable, d’impact environnemental et, peut-être même, de coût humain. En encourageant une concurrence saine et en abaissant les coûts, les normes veilleront à ce que les avancées technologiques restent accessibles au plus grand nombre afin qu’aucun pan significatif de l’humanité ne soit laissé à la traîne. Nous ne devons pas perdre de vue le fait qu’au cœur de l’innovation, certains essaient d’améliorer nos vies. Faisons en sorte que ces rêves ne se transforment pas en cauchemars !

Maria Lazarte
Maria Lazarte

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Elizabeth Gasiorowski-Denis
Rédactrice en chef d'ISOfocus