De l’utilité des normes pour vivre mieux

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Les normes internationales sont un vecteur d’harmonisation qui peut stimuler les pays dans tous les domaines du développement en leur donnant les moyens d’agir de concert plutôt que de façon isolée, de mieux se positionner sur le marché mondial et de saisir de nouvelles opportunités. Des experts nous expliquent pourquoi chacun tirera parti de règles du jeu équitables.

L’Objectif de développement durable n°1 (ODD 1) de l’ONU vise à éliminer la pauvreté sous toutes ses formes, partout dans le monde. Des progrès ont déjà été constatés – le taux de pauvreté à l’échelle mondiale a été réduit de plus de la moitié depuis l’année 2000 et la plupart des régions du monde ont enregistré un recul de la pauvreté. Cependant, selon l’ONU, 783 millions de personnes vivent toujours avec moins de USD 1,90 par jour, et des millions d’autres n’ont guère plus pour vivre. En dépit des prévisions de croissance à l’échelon mondial, l’objectif d’éradication de la pauvreté extrême à l’horizon 2030 semble hors de portée.

Force est de constater que les progrès ont été variables selon les pays et que certains petits pays en développement n’ont reçu que quelques miettes du gâteau. Nombre de ces pays sont souvent parmi les plus vulnérables vis-à-vis des menaces climatiques, mais sont aussi les plus touchés par les inégalités. Quant à l’impact de la Quatrième révolution industrielle, les pays et les entreprises qui ne sont pas prêts à adopter les nouvelles technologies de l’ère numérique ou n’ont pas les capacités requises pour en tirer parti resteront tout simplement à la traîne.

Haitian fishermen preparing their boats for a day's work.

 

Les obstacles au progrès

Selon le Groupe de la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le commerce peut contribuer à faire reculer la pauvreté dans les pays en développement, et son importante contribution à cet égard a déjà été observée. Un récent rapport conjoint de ces deux organisations, Trade and Poverty Reduction : New Evidence of Impacts in Developing Countries (Commerce et réduction de la pauvreté : nouvelles preuves de l’impact sur les pays en développement), présente des études de cas qui illustrent comment le commerce contribue à lutter contre la pauvreté et met en lumière les obstacles au progrès, notamment le travail de l’économie informelle et les inégalités hommes-femmes.

Selon Khemraj Ramful, Conseiller principal en matière de management de la qualité des exportations, du Centre du commerce international (ITC), si plusieurs pays en développement ont pu, au cours des dernières décennies, accéder avec succès aux marchés mondiaux et tirer parti du commerce pour fortement stimuler leur croissance, accroître la valeur ajoutée de leur économie et réduire la pauvreté, de nombreux autres s’en sont moins bien sortis. « Ces pays restent des acteurs relativement marginaux du commerce international, se limitant, dans le meilleur des cas, à fournir des matières premières aux marchés internationaux. L’accélération de la croissance et la lutte contre la pauvreté dans ces pays seront essentielles pour éliminer la pauvreté extrême et contribuer à la réalisation des ODD. »

Il ne fait aucun doute que tous les pays engagés dans les échanges commerciaux y gagneront, même si – dans un contexte géopolitique incertain, de balances commerciales non équilibrées et de chaînes d’approvisionnement complexes – les gains ne seront pas les mêmes pour tous. Ne citons en exemple que les petits États insulaires en développement des Caraïbes, qui s’attellent depuis fort longtemps à surmonter de nombreux obstacles et problèmes institutionnels en matière de commerce.

 

Loading a container in a ferry on the port in Nassau, Bahamas.

Vaincre les difficultés

Deryck Omar, Directeur général de la CROSQ, l’Organisation régionale des Caraïbes pour les normes et la qualité, rappelle que cette région du monde livre un combat difficile pour venir à bout de certains des obstacles techniques au commerce. Les difficultés auxquelles la région doit faire face sont liées à des contraintes telles que « le niveau élevé des prix de l’énergie, une marge budgétaire réduite, la hausse des coûts de transport entre les nombreuses îles, la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles et une infrastructure qualité qui, on le comprend aisément, se développe plus lentement que dans la plupart des pays développés ».

Naturellement, chaque pays se développe à son propre rythme et c’est précisément sur ce point que les normes internationales peuvent jouer un rôle essentiel. Chacun des 15 États membres de la CARICOM (la Communauté des Caraïbes) est doté au minimum d’un organisme national qui supervise l’élaboration des procédures et systèmes de qualité nationaux conçus pour faciliter les échanges commerciaux et développer les capacités du pays dans ce domaine.

La plupart des exportations de produits provenant de cette région se font en direction des États-Unis, des pays de l’Union européenne et d’autres pays de la CARICOM. M. Omar fait remarquer qu’au cours des dernières années, des efforts ont été engagés pour renforcer les relations avec ces pays partenaires au moyen d’une surveillance accrue de la conformité des produits et services aux normes et règlements pertinents requis pour la mise en place d’échanges commerciaux. « De plus en plus, les opérateurs économiques impliqués dans les échanges commerciaux au sein des Caraïbes comme à l’échelon extrarégional exigent que les produits importés soient certifiés selon des normes nationales ou internationales avant d’autoriser leur entrée sur les territoires, afin de respecter les règles de l’OMC et de veiller à la santé et à la sécurité des consommateurs de la région », indique M. Omar.

 

Créer des réseaux

L’adaptation des normes internationales au contexte régional des pays en développement n’est pas une nouveauté pour les pays de la CARICOM. La CROSQ s’est appliquée de longue date à créer des réseaux avec des organisations internationales, notamment l’ISO, l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE), et l’International Code Council (ICC).

On observe cette tendance dans d’autres régions du monde. En Afrique, par exemple, l’anniversaire de la signature de l’Accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), le plus important accord de libre-échange régional, a été célébré en mars de cette année. À peine un mois plus tard, le 29 avril, cet accord atteignait le seuil des 22 ratifications nécessaires pour autoriser son entrée en vigueur au plus tard à la fin mai. Selon Eve Gadzikwa, Directrice générale de la Standards Association of Zimbabwe (SAZ) et Présidente de l’Organisation africaine de normalisation (ORAN), la ratification de cet accord par 24 des 55 pays potentiellement concernés, au jour d’aujourd’hui, ouvre pour l’Afrique une ère nouvelle. « La célébration de cette étape importante concrétise l’aboutissement d’un nombre important de tendances et de défis associés aux énormes opportunités commerciales qui se présentent pour le continent. Les normes internationales constitueront le socle sur lequel le commerce pourra prospérer dans le cadre de l’Accord sur la ZLECA », affirme-t-elle.

Les défis à relever sont nombreux et impliquent notamment d’acquérir une meilleure compréhension des normes relatives à la qualité et à la sécurité dans le cadre de l’Accord sur la ZLECA, ou d’élaborer des politiques commerciales nationales qui s’inscrivent dans les tendances mondiales et visent à réduire les lacunes en matière d’infrastructure qualité, à l’appui de l’évaluation de la conformité des produits échangés. Selon Mme Gadzikwa, les tendances émergentes pour relever ces défis et accroître les échanges commerciaux incluent la numérisation du commerce transfrontalier, la promotion du commerce intra-africain pour répondre aux besoins de la population africaine, qui compte 1,6 milliard de personnes, et l’amélioration des partenariats entre les organismes nationaux de normalisation, les associations professionnelles et les communautés économiques régionales.

Street market crowd at Lagos Island's commercial district in Nigeria.

 

Des opportunités d’exportation

L’Afrique est dotée de nombreuses ressources qui offrent autant d’opportunités à l’export sur le marché mondial. Mme Gadzikwa fait remarquer que, comme c’est le cas ailleurs dans le monde, les 55 pays du continent africain ne sont pas tous au même stade de développement. Elle met aussi l’accent sur le fait que « les normes sont un outil permettant de définir et de faire respecter des règles du jeu équitables dans le cadre d’un marché unique pour promouvoir tant le commerce intra-africain que le commerce mondial ». Par ailleurs, elle fait remarquer que « les organisations de petite taille ou de taille moyenne ont tout à gagner d’une approche plus inclusive de la normalisation leur permettant de contribuer à la croissance économique sur le continent ».

De l’avis de Khemraj Ramful, de l’ITC, le manque d’harmonisation des règlements techniques entre pays africains pourrait entraver la capacité des entreprises à bénéficier pleinement des avantages de l’accord de libre-échange du continent africain. Selon lui, « c’est dans ce contexte que l’ORAN et les organismes nationaux de normalisation peuvent jouer un rôle plus important, en encourageant le recours aux normes harmonisées comme point de départ des règlements techniques ».

Pour Mme Gadzikwa, l’adoption des normes internationales présente de nombreux avantages, comme la suppression de la duplication inutile des efforts, une harmonisation concertée des priorités par secteur, et l’harmonisation des normes dans le cadre de l’Accord sur la ZLECA. La reconnaissance mutuelle des normes, l’octroi de licences et la certification des prestataires de services aidera les entreprises et les individus à se conformer aux exigences réglementaires pour opérer sur leurs marchés respectifs. « La promotion des normes de durabilité dans le cadre du programme de certification EcoMark de l’Organisation africaine de normalisation est en train de s’imposer comme un moyen de favoriser l’éco-étiquetage et la création d’une image de marque pour les produits agricoles, touristiques, forestiers et de la pêche, destinés au marché international », précise Mme Gadzikwa.

Men loading a carriage with different goods that came from a ferry and a pirogue, in Gambia.

 

Des chaînes de valeur régionales

Elle ajoute que l’assouplissement des échanges commerciaux entre pays africains est une priorité. Le commerce intra-africain contribuera à l’établissement de chaînes de valeur régionales dans lesquelles les intrants proviennent de différents pays afin de créer une valeur ajoutée. Les produits transformés peuvent ensuite être exportés hors du continent africain ou être mis en circulation sur le marché africain. Les avantages de la numérisation deviennent aussi plus évidents et l’on assiste à « une prise de conscience de la montée en puissance de l’ère numérique en matière d’échanges commerciaux en Afrique dans le cadre de l’Accord sur la ZLECA ».

Le secteur privé est également important pour Mme Gadzikwa qui encourage les entrepreneurs, tant les patrons de micro, petites et moyennes entreprises (MPME) que les fondateurs de grandes entreprises et les prestataires de services, à s’adapter rapidement aux nouvelles conditions du monde numérique en matière de commerce transfrontalier, faute de quoi ils risquent de disparaître.

À l’image de l’Afrique, la région des Caraïbes a concentré ses efforts sur les relations commerciales intrarégionales. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’organismes régionaux tels que le Forum des Caraïbes du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (CARIFORUM), qui se compose de tous les États membres de la CARICOM et de la République dominicaine. Selon M. Omar, « les relations avec le CARIFORUM offrent davantage d’opportunités commerciales, de formation et d’échange d’informations entre pays ainsi que des possibilités d’équivalence des normes et des systèmes d’évaluation de la conformité dans des domaines d’intérêt mutuel qui pourront bénéficier aux pays concernés ».

 

A man wearing a safety vest and taking notes, is standing between two semi trucks.

Infrastructure qualité

M. Omar et Mme Latoya Burnham, Responsable technique, Communication et information, de la CROSQ, s’accordent pour reconnaître que des opportunités commerciales et d’investissement se présentent dans des secteurs de services non traditionnels, et que les entreprises se tournent de plus en plus vers la certification et l’accréditation des services et de leurs processus connexes.

Les normes internationales jouent un rôle clé, selon Mme Burnham, pour garantir que les processus, les produits et les services sont adaptés, interchangeables et compatibles. Elles permettent une meilleure utilisation des ressources et améliorent la communication au-delà des frontières et dans des environnements divers.

L’évolution des mentalités peut être la clé du succès. Mme Burnham considère que « si les normes sont avantageuses pour le commerce, elles s’avèrent souvent difficiles à mettre en œuvre pour permettre à des produits locaux d’accéder à des marchés autres que leur propre marché. C’est pourquoi la formation et l’accès à des services de qualité constituent des points critiques, même s’il est reconnu que l’accès à de tels services peut parfois être difficile ». La région concentre désormais ses efforts sur les bonnes pratiques réglementaires par le biais de l’une des activités financées dans le cadre du Programme TradeCom II, destiné aux membres du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Cette activité vise à « sensibiliser et former les fonctionnaires des organismes de réglementation ainsi que les représentants du secteur privé à l’importance de cette approche afin d’assurer le bon fonctionnement des entreprises pour leur permettre d’accéder à des marchés plus importants ».

M. Omar estime pour sa part que la Politique qualité régionale (PQR) de la CROSQ, tout juste publiée, est un exemple parfait de la manière de marier ces concepts à la notion de qualité pour établir le type d’approche multisectorielle nécessaire à un accroissement des échanges pour le développement des pays des Caraïbes.

Une approche harmonisée

Selon lui, les pays en développement de la région peuvent s’inspirer de l’approche harmonisée qui a été perfectionnée au fil du processus d’élaboration des normes internationales lorsqu’ils « essaient d’harmoniser nombre de leurs procédures et processus, tout en s’efforçant d’observer les principes qui régissent le commerce ». Il insiste sur le fait que l’harmonisation et la recherche d’équivalences sont des étapes essentielles pour les pays qui reconnaissent avoir intérêt, du fait de leur petite taille, à faire preuve de cohésion plutôt que d’agir séparément.

Fishermen preparing nets and boats for fishing in Venezuela.

M. Ramful estime lui aussi que la conformité aux normes internationales est un facteur favorisant la pénétration des entreprises sur les marchés internationaux. « Les enquêtes menées par l’ITC auprès des entreprises dans les pays en développement montrent que plus de 50 %, et dans certains cas jusqu’à 70 %, des difficultés rencontrées à l’exportation par les entreprises sont dues aux exigences techniques du marché de destination », affirme-t-il. Ces exigences incluent le respect des normes sur la santé et la sécurité ainsi que des procédures d’évaluation de la conformité connexes. C’est pourquoi de nombreux projets de l’ITC dans les pays en développement intègrent une composante de soutien institutionnel dans le domaine de la normalisation tout comme une assistance aux entreprises concernant le respect des normes pertinentes pour le marché.

Pour Joseph Wozniak, qui dirige le programme Commerce au service du développement durable (T4SD), de l’ITC, les normes sont aussi une opportunité. « Le respect des normes et la certification peuvent ouvrir l’accès à de nouveaux marchés et conduire à un accroissement des marges commerciales dans des conditions favorables. L’ITC a développé des outils en ligne gratuits comme la Feuille de route de la durabilité, conçue pour permettre aux entreprises du monde entier de comparer entre elles 250 normes privées ou d’application volontaire exigées par les acheteurs du secteur privé, et d’effectuer leur auto-évaluation au regard de ces normes. »

M. Ramful, quant à lui, mentionne trois axes pour permettre aux pays en développement de tirer pleinement parti des normes internationales en vue de faciliter le commerce :

  • Les pays en développement doivent participer plus activement à l’élaboration des normes internationales afin que celles-ci tiennent compte des points de vue des parties prenantes des pays en développement.
  • Les normes internationales doivent être plus accessibles aux entreprises, en particulier aux MPME qui créent la grande majorité des emplois tant dans les pays en développement que dans les pays développés.
  • Des normes bien conçues ne peuvent à elles seules établir des règles du jeu équitables. Les membres nationaux des organismes internationaux à activités normatives doivent accompagner les travaux de normalisation tout en s’efforçant de promouvoir les normes auprès de leurs parties prenantes au niveau national et de réduire les contraintes liées à la conformité.

Il conclut avec ces mots : « L’ITC a constaté que les entreprises qui ont bénéficié d’un accompagnement pour respecter les normes ont amélioré leur accès aux marchés étrangers. Non seulement ces entreprises ont pu dégager des marges supérieures, mais elles ont servi d’exemple à d’autres entreprises qui leur ont emboîté le pas. » Les répercussions pour la société sont évidentes. Le Compteur de réduction de la pauvreté dans le monde [1] tourne, mais les normes internationales peuvent contribuer à l’accélérer pour s’assurer que nombre de personnes échapperont à la pauvreté extrême avant l’échéance fixée.

African woman selling vegetables on the market in Bamako, Mali.

 


  1. Créé par le World Data Lab, une ONG basée à Vienne en Autriche, le Compteur de réduction de la pauvreté dans le monde fournit des estimations précises et actualisées de la pauvreté dans presque tous les pays du monde jusqu’en 2030.
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Elizabeth Gasiorowski-Denis
Rédactrice en chef d'ISOfocus